<html>
<head>
<meta content="text/html; charset=ISO-8859-1"
http-equiv="Content-Type">
</head>
<body bgcolor="#FFFFFF" text="#000000">
Un bon texte Deedee.<br>
<br>
Merci de l'avoir partagé.<br>
<br>
Nicolas<br>
<br>
<div class="moz-cite-prefix">On 28/10/2013 10:02 PM, DeeDee Halleck
wrote:<br>
</div>
<blockquote
cite="mid:CAKOC+OaKryQUi5s_3SkwbtuFDVjV+HHon+VGLog9vgH4=JrWAQ@mail.gmail.com"
type="cite">
<div dir="ltr">
<div>Elle fut toujours bruyante. Aujourd'hui, on peut encore
entendre, sur un certain nombre de marchés, la voix des
camelots. Elle est agaçante, mais inoffensive. Lorsque la
révolution industrielle lança le coup d'envoi de la
consommation de masse, la réclame passa au régime industriel.
Dans les milieux qui se prenaient pour l'élite, on tint
longtemps pour vulgaire de se vanter soi-même, ou de vanter
ses produits. Le fait que le secteur ait rebaptisé son
activité « publicité » n'a pas amélioré sa réputation.</div>
<div><br>
</div>
<div>Des natures moins snobs participent aujourd'hui comme jadis
à des jeux-concours, échangent des bons de réduction et
comparent remises et promotions-bonnes affaires. Comment
peut-on parler avec autant de bonhomie du terrorisme de la
publicité ? N'est-on pas trop optimiste ? Et en quoi le
tam-tam du camelot a-t-il absolument à voir avec la politique
?</div>
<div><br>
</div>
<div>Même si la clientèle ingénue ne veut rien en savoir, il est
un fait : la politique s'est très vite emparée de la publicité
− l'inverse étant tout aussi vrai. La publicité est devenue,
au plus tard à partir des années 1920, une force politique.
Les partis se sont imposés comme des marques commerciales
déposées et, afin d'obtenir des parts de marché, ont lutté
plutôt au moyen de slogans qu'au moyen d'arguments.</div>
<div><br>
</div>
<div>Au cours des années de crise et de guerre civile qui
succédèrent en Allemagne à la première guerre mondiale, la
propagande avait atteint des proportions effrayantes. Aucune
dictature du siècle ne s'en sortirait sans la « créativité »
de spécialistes en publicité. Ce furent eux qui s'occupèrent
des formulations les plus efficaces lorsqu'il fut question de
campagne de dénigrement antisémite, d'agit-prop, de procès
spectacles, de préparatifs de guerre et de culte de la
personnalité.</div>
<div><br>
</div>
<div>« UN PEUPLE, UN REICH, UN FÜHRER »</div>
<div><br>
</div>
<div>Après 1945, il devint inenvisageable de faire des affaires
avec des paroles du genre « Un peuple, un Reich, un Führer »,
ou avec des mises en scène de réunions politiques de masse à
la Leni Riefenstahl. Aussi, lorsqu'en 1989 ce fut un peu plus
qu'un mur qui tomba, et lorsque disparurent les banderoles qui
proclamaient ce que signifiait apprendre à triompher de
l'Union soviétique, les spécialistes émérites de l'agit-prop
durent chercher du regard de nouveaux champs d'activité. Etant
donné leur souplesse d'esprit, il ne leur fut pas difficile de
s'adapter lorsque sonna l'armistice de la guerre froide.</div>
<div><br>
</div>
<div>Le besoin de tels spécialistes avait déjà pris une forte
importance depuis le développement des médias de masse. Balzac
et Zola savaient, en leur temps, que la presse ne pouvait pas
vivoter de la seule vente des journaux. Les agences
publicitaires fleurissaient au fur et à mesure que se
développait l'édition de magazines et de journaux à sensation.
Lorsque la radio et la télévision devinrent des médias de
masse, elles conclurent en Amérique un pacte à la vie à la
mort avec la « Madison Avenue » à New York, où se sont
historiquement installées les grandes agences de publicité.
Les films et les informations seraient interrompus et
rallongés de façon routinière par des intermèdes
publicitaires.</div>
<div><br>
</div>
<div>Ce que cela impliqua comme conséquences politiques et
sociopsychologiques n'a été jusqu'à présent qu'insuffisamment
exploré. Une armée d'universitaires-consultants, de
sociologues et de spécialistes en études de marché, qui se mit
au service des industries concernées, s'est chargée de ne pas
le faire. Dans une économie de la captation de l'attention, il
ne doit qu'en tout dernier lieu être question d'élucider le
monde dans lequel on vit. On s'évertuera pour cette raison à
privatiser l'espace public et à soutirer à la population le
temps qui lui est laissé pour vivre sa vie. La publicité a
atteint ces objectifs.</div>
<div><br>
</div>
<div>Elle a dévasté l'habitat avec ses panneaux lumineux, ses
enseignes et ses banderoles. Les grands axes de circulation,
les gares et les stations de bus et métro sont encombrés de
toutes parts de panneaux-écrans sur lesquels un quelconque «
annonceur » cherche à écouler quelque chose. Avec la même
violence, la publicité s'introduit dans l'espace privé des
hommes et leur vole autant de temps que possible. Personne ne
peut aujourd'hui entrer dans un cinéma sans être importuné par
les beuglements de la publicité. Un autre vieux moyen de
communication, le téléphone, a lui aussi été colonisé par les
entreprises de marketing et autres voleurs d'attention. La
grande famille des publicités-déchets fait, avec ses
prospectus et ses newsletters, l'essentiel des échanges
postaux.</div>
<div><br>
</div>
<div>Il est difficile de comprendre quelle longanimité permet à
l'humanité de tolérer ces abus. La résistance s'organisa de
façon timide : « Pas de publicité ! », lit-on sur de
nombreuses boîtes aux lettres, une requête ignorée par les
distributeurs d'ordures sous-payés qui doivent remplir leurs
quotas. Aucune protection n'est à espérer de la part des
institutions étatiques.</div>
<div><br>
</div>
<div>Tout cela fait pourtant partie d'une phase de l'évolution
technique qui donne déjà une impression de suranné. Car la
puissance politique de la publicité a pris au cours des trois,
quatre dernières décennies une ampleur sans précédent. Ce
furent l'invention de l'ordinateur et la mise en place
d'Internet qui rendirent cela possible.</div>
<div><br>
</div>
<div>LES MISES À JOUR SONT TRAFIQUÉES</div>
<div><br>
</div>
<div>Depuis, Google, Facebook, Yahoo & Co - et leurs valeurs
boursières - éclipsent les vieux monstres de l'industrie
lourde et des capitaux financiers. Tout le monde apparaît dans
leurs fichiers clientèle. Leur principe de base est de ne
générer par eux-mêmes aucun contenu. Cette tâche, ils la
laissent à d'autres médias ou bien aux utilisateurs, qui leur
fournissent gratuitement informations ou détails sur leurs
vies privées. Ce modèle commercial dépend du financement par
la publicité. Ces groupes disparaissent s'ils ne font pas de
la retape. Il n'y a pas de moteur de recherche neutre. Les
mises à jour sont trafiquées, les recommandations d'achat
falsifiées, les enfants rééduqués en bons petits clients.
Certes, des géants du commerce comme Amazon doivent se
coltiner comme avant l'expédition des biens matériels, et des
groupes comme Microsoft ou Apple vivent encore de la vente de
leurs logiciels et de leur matériel informatique. Mais qui
veut gérer des milliards de clients doit collecter leurs
données personnelles. Des méthodes mathématiques, qui
s'avèrent de très loin supérieures aux méthodes jadis
utilisées par les techniciens de la domination politique des
polices secrètes, servent à cela.</div>
<div><br>
</div>
<div>La publicité a ainsi adopté une nouvelle dimension
politique. Car les groupes américains qui dominent l'Internet
sont des alliés des « Etats dans l'Etat ». Les relations
qu'ils entretiennent avec les services secrets reposent sur de
solides intérêts communs ; groupes industriels comme services
secrets ont besoin de toutes les informations disponibles
permettant de contrôler la population. On se met d'accord sur
le fait que les droits fondamentaux ne sont que des vestiges
de temps révolus. De façon très obligeante, l'un des
protagonistes les plus puissants, le créateur de Facebook,
Mark Zuckerberg, est convaincu que l'époque de la sphère
privée est terminée.</div>
<div><br>
</div>
<div>Alors que la politique européenne fait celle qui ne se
doute de rien, joue à la dégonflée, on remarque que ceux qui
s'opposent aux « Etats dans l'Etat » viennent justement des
Etats-Unis. Les lanceurs d'alerte traités de traîtres, comme
le sont M. Manning et M. Snowden, restent fidèles à la
Constitution de leur pays.</div>
<div><br>
</div>
<div>Il est difficile de déterminer avec précision qui est aux
manettes dans le camp de la surveillance et du contrôle.
S'agit-il desdits « services » étatiques, qui se sont
émancipés de tout contrôle démocratique ? Leur père fondateur,
J. Edgar Hoover, le patron du FBI, avait déjà réussi à
intimider des présidents avec ses dossiers. Aujourd'hui, les
chefs de gouvernement regardent de monstrueux services jouer
aux patrons.</div>
<div><br>
</div>
<div><br>
</div>
<div>S'agit-il donc de ces organisations qui gardent la
situation bien en main, en se cachant derrière les acronymes
des services de renseignement comme NSA, DGSE et BND ? Ou bien
s'agit-il plutôt de leurs complices, les groupes industriels
d'Internet, qui maîtrisent les données ? Ce partenariat forme
un univers politique parallèle dans lequel la démocratie ne
joue plus le moindre rôle.</div>
<div><br>
</div>
<div>On trouve encore dans cette association un troisième larron
: la criminalité organisée. Là encore, il n'est pas évident de
comprendre à quoi on a affaire. Certes, tout « utilisateur »
sait bien que des syndicats du crime internationaux s'activent
en permanence sur la Toile afin de voler des données, afin de
semer spams, attaques par hameçonnage, virus et chevaux de
Troie, afin de blanchir l'argent de la drogue, de faire du
commerce d'armes. Et saisir ainsi toutes les occasions
d'argent sale que le flux de données a à offrir. Mais les
frontières entre les affaires civiles et militaires, entre les
cellules d'espionnage et les cellules terroristes sont floues,
car toutes les parties utilisent les mêmes méthodes et
recrutent les mêmes informaticiens, hackeurs et cryptographes
à partir d'une même pépinière de talents.</div>
<div><br>
</div>
<div>Cela vaut pour un autre participant à ce jeu avec la Toile.
Il est de loin le plus petit. Son rôle est celui du
trouble-fête. Parce que l'anonyme guérillero du Web fonctionne
à l'écart de toute forme d'organisation hiérarchique, en s'en
passant fort bien, il est difficilement saisissable. Cette
forme avancée de résistance civique réserve probablement
encore aux services secrets plus d'une fâcheuse surprise.</div>
<div><br>
</div>
<div>Ce qui est beau dans le régime post-démocratique dans
lequel nous vivons, c'est son silence. Les rôles du gardien
d'immeuble-espion et du délateur sont désormais assurés par
des millions de caméras de surveillance et de téléphones
portables. Pour la très grande majorité des gens, c'est chose
assez agréable. Doit-on alors appeler progrès historique le
fait de découvrir que la surveillance totale et le contrôle
total de la population s'avèrent également possibles avec des
moyens relativement non violents, relativement peu sanglants ?</div>
<div><br>
</div>
<div>Cette situation est garantie par la domination des services
secrets et leur alliance avec la publicité. Qui s'accommode
donc de ce régime le fait à ses risques et périls.</div>
<div><br>
</div>
<div>Traduit de l'allemand par Frédéric Joly</div>
<div><br>
</div>
<div>Hans Magnus Enzensberger (Poète, écrivain, traducteur et
journaliste)</div>
<div><br>
</div>
<div>Hans Magnus Enzensberger</div>
<div>Poète, écrivain, traducteur et journaliste allemand,
également connu sous le pseudonyme d’Andreas Thalmayr. Célèbre
pour sa critique du monde contemporain, il a notamment publié,
chez Gallimard, « Le Perdant radical : essai sur les hommes de
la terreur » (2006) et « Le Doux Monstre de Bruxelles ou
L’Europe sous tutelle » (2011).</div>
<div><br>
</div>
<div><br>
</div>
-- <br>
<div><a moz-do-not-send="true"
href="http://www.deepdishwavesofchange.org" target="_blank">http://www.deepdishwavesofchange.org</a></div>
</div>
<br>
<fieldset class="mimeAttachmentHeader"></fieldset>
<br>
<pre wrap="">_______________________________________________
Ncuc-discuss mailing list
<a class="moz-txt-link-abbreviated" href="mailto:Ncuc-discuss@lists.ncuc.org">Ncuc-discuss@lists.ncuc.org</a>
<a class="moz-txt-link-freetext" href="http://lists.ncuc.org/cgi-bin/mailman/listinfo/ncuc-discuss">http://lists.ncuc.org/cgi-bin/mailman/listinfo/ncuc-discuss</a>
</pre>
</blockquote>
<br>
</body>
</html>